10 Février : L'illustre Destin d'une Humbre Ampoule

13- L’Illustre Destin d’une Humble Ampoule

https://youtu.be/kOwBuOKku-8 

 


Dans l’ombre feutrée d’un antique secrétaire, dissimulée parmi des trombones esseulés et des boutons orphelins, sommeillait une modeste ampoule. Modeste, certes, mais pétrie d’aspirations grandioses. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, elle n’éprouvait nul attrait pour les lampes de chevet ou les veilleuses timorées. Non, son rêve était autrement plus noble, elle aspirait à devenir un réverbère.  

 

Chaque soir, à travers la mince ouverture du tiroir, elle contemplait ces sentinelles lumineuses qui, du haut de leurs majestueux fûts de fonte, inondaient les rues d’une clarté souveraine. 

 

« Qu’ils sont imposants, qu’ils sont élégants ! », soupirait-elle avec admiration. « Quelle gloire ce doit être d’éclairer toute une avenue, d’offrir guidance aux noctambules et réconfort aux rêveurs ! Et moi, je croupis ici, réduite à l’oubli... »  

 

Mais l’ampoule n’était point du genre à s’abandonner à la mélancolie. Si la destinée ne daignait pas lui offrir le lustre qu’elle méritait, alors elle le saisirait de sa propre initiative !  

 

L’occasion tant attendue se présenta un soir où le propriétaire du tiroir l’entrouvrit et oublia de le refermer. Saisissant sa chance, l’ampoule entreprit une périlleuse expédition. Elle roula, non sans élégance, échappant de justesse à une épingle traîtresse et contournant habilement une pile de pièces de monnaie. Avec une témérité que d’aucuns eussent qualifiée de téméraire, elle se laissa choir sur le tapis du plancher, avant de se faufiler à l’extérieur, portée par l’audace et un soupçon de gravité.  

 

Enfin libre, l’ampoule savourait l’air frais du dehors. Devant elle se dressait un réverbère, majestueux colosse auréolé d’une lumière impériale. Tremblante d’émotion, elle tenta d’attirer son attention. Elle clignota, vacilla, fit tout son possible pour se rendre visible. Hélas, l’imposante structure, indifférente à sa présence, poursuivit imperturbablement sa noble mission.  

 

L’ampoule, loin de se décourager, redoubla d’efforts, oscillant frénétiquement sur le pavé dans un ballet quasi électrique. C’est alors qu’une voix grave et légèrement nasillarde retentit.  

 

« Eh bien, que vois-je là ? Une ampoule vagabonde en quête d’aventure ? »  

 

L’interlocuteur n’était autre que l’illustre Allumeur de Réverbères, homme à la silhouette élancée, affublé d’une moustache en point d’interrogation et d’un chapeau dont l’inclinaison défiait toutes les lois de l’équilibre et de la gravité. Il portait sous le bras une antique lampe de poche, dont l’ampoule, hélas, semblait avoir rendu l’âme peu de temps auparavant et après de loyaux services.  

 

Avec une curiosité bienveillante, il ramassa l’ampoule égarée et, après un instant de réflexion, la fixa sur sa lampe. Puis, d’un geste solennel, il enclencha l’interrupteur.  

 

Ô miracle ! Une lumière d’une clarté exquise jaillit, éclatante, vive, presque arrogante dans son intensité. L’Allumeur en resta bouche bée.  

 

« Par tous les filaments de tungstène, mais quelle brillance ! Voilà une ampoule qui n’a rien d’ordinaire ! »  

 

L’ampoule, flattée mais résolue, clignota avec insistance. Il fallait qu’il comprenne : son aspiration ne se limitait point à illuminer une lampe de poche, aussi respectable fût-elle.  

 

L’Allumeur, sagace, plissa les yeux. « Ne me dis pas… que tu souhaites devenir un réverbère ? »  

 

L’ampoule scintilla avec une ferveur sans équivoque.  

 

L’homme, amusé, éclata d’un rire sonore. « Eh bien, ma petite, il va te falloir apprendre à briller avec constance et discipline. Les réverbères ne s’illuminent pas à leur gré ! Ils obéissent à un ordre immuable, éclairent sans faillir, même sous la pluie battante ou la bourrasque capricieuse. »  

 

Dès lors, l’Allumeur aida de l’ampoule. Il lui enseigna l’art de la stabilité lumineuse, la discipline de l’éclairage nocturne, et la résistance face aux intempéries, ce qui impliqua quelques séances mouvementées face à un ventilateur d’époque.  

 

Les débuts furent laborieux. Mais, à force de persévérance, l’ampoule gagna en maîtrise. Sa lueur devint plus sereine, plus harmonieuse. Elle était prête.  

 

Une nuit, l’Allumeur l’emporta dans sa tournée nocturne. Les rues s’assombrissaient à mesure que le crépuscule cédait place aux ténèbres. Tour à tour, il réveillait les réverbères endormis de la ville, effleurant leur mécanisme d’un geste prompt et expert.  

 

Arrivé devant un lampadaire éteint, il s’arrêta. « A toi de jouer ! »  

 

Il hissa l’ampoule sur le réverbère. Là, perchée à plusieurs mètres du sol, elle observa la ville endormie. Puis, d’un éclat résolu, elle s’illumina.  

 

Les passants s’arrêtèrent, interloqués par cette lumière nouvelle, plus vive, plus chaleureuse que les autres. « Quelle lueur magnifique ! » s’émerveilla un enfant.  

 

L’ampoule exultait. Elle était devenue ce qu’elle avait toujours rêvé d’être !  

 

Toutefois, à l’aube, une douce mélancolie la gagna. Depuis sa haute position, elle apercevait l’Allumeur qui s’éloignai. Était-ce vraiment ce qu’elle voulait ?  

 

Le soir suivant, l’Allumeur la retrouva toujours perchée sur le réverbère. « Alors, es-tu satisfaite ? »  

 

L’ampoule hésita, puis brilla d’une lumière douce mais résolue. C’était merveilleux… mais elle préfèrerait être une lampe de poche.  

 

L’Allumeur, loin d’être surpris, hocha la tête avec un sourire entendu. « Tu sais, petite, il y a mille et une façons d’éclairer le monde. Les réverbères brillent pour tous, mais les lampes de poche révèlent les chemins oubliés, les recoins secrets. Ta lumière, où qu’elle soit, n’en demeure pas moins précieuse. »  

 

L’ampoule, touchée, scintilla une dernière fois avant de redescendre.  

 

Dès lors, bien qu’elle ne fût jamais devenue réverbère, elle trouva sa véritable vocation : éclairer l’inattendu, illuminer l’invisible… et surtout, briller à sa manière.  

 

Ce n’est pas la taille de la lumière qui compte, mais la manière dont elle éclaire ceux qui en ont besoin.



kirikiki l'histoire est finie !...


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